Altamira le 20 janvier 2002

 

Me voilà revenue de ma retraite solitaire au milieu de la jungle !

Partie lundi pour Manaus dans un petit avion de la compagnie « RICO », le voyage est en lui-même toute une aventure. Sauts de puce d’Altamira à Manaus, étape à Santarém, puis à Parintins, à Maués, enfin Manaus.

Le confluent du rio Tapajos et de l’Amazone à Santarém est tout un spectacle. Le delta est immense : aussi loin que portent les yeux, on croit apercevoir la rive, mais au-delà, encore et toujours de l’eau ! L’Amazone fait la fière et coule sur des kilomètres avant d’accepter de mêler ses eaux dorées aux eaux bleues du Tapajos. D’immenses vols blancs de garças font cortège d’honneur à ce mariage somptueux !

Labyrinthes et labyrinthes d’eau jusqu’à Parintins où s’entremêlent et glissent quelques bandes de terre verte. Inversion de la nature, négatif, où ce qui est terre est devenu eau, où se faufilent des ruisseaux de verdure ! L’avion descend,  descend, va se poser sur l’eau ? Tout-à-coup, juste une bande d’asphalte minuscule qui ressemble à une piste sur une miniature ! L’avion vire dernière minute et se pose ! Ouf ! Au décollage, l’avion met plein gaz avant de se lancer avec peine, la piste va-t-elle suffire ou va-t-on se retrouver englouti dans quelque Atlantide peuplé d’Amazones et d’hommes acéphales ? Non, il regagne les cieux  et continue à remonter le cours du fleuve. Un détour au-dessus de l’océan vert de la selva pour se poser à Maués, coin perdu où descendent quelques passagers armés pour l’aventure. Une petite hutte sert d’aéroport ! J’apprendrai par la suite que c’est de là que vient la plus grosse production de « guaraná » d’Amazonie.

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Enfin arrivée magnifique sur Manaus, le soleil est encore haut, ciel, nuages, eaux, terre se confondent dans un scintillement d’argent. D’en haut la rencontre du Solimões et du Rio Negro qui vont former la grande Amazone ne paraît qu’un petit trait de peinture. Dernière acrobatie du pilote et voilà la fin de ce périple.

J’ai retenu deux jours d’aventure à l’hôtel « Terra verde » au centre de la forêt amazonienne, où je dois me rendre le lendemain.

Au petit matin (la vie de touriste se mérite !) un bus me prend à l’hôtel où j’ai dormi, fait le tour des hôtels pour faire le plein de Japonais et d’Américains et nous emmène à l’hôtel Tropical, le plus luxueux de Manaus. De là embarquement sur le rio Negro, direction l’Ariau Towers Hôtel, première escale ! Le rio Negro porte bien son nom, on glisse sur du thé noir ! Les scientifiques ne semblent pas s’accorder sur ce phénomène chimique : l’explication la plus acceptée est la décomposition des matières organiques et le haut degré d’acidité, mais contredite par le fait qu’à la sortie de la source, les eaux ont déjà cette couleur sombre.

Le temps est superbe, le soleil monte peu à peu sur l’immense océan argenté d’où émergent ça et là quelques dauphins ludiques. Deux heures de glisse sur cette huile et on accoste : je reconnais les tours et passerelles de l’Ariau dont j’ai souvent vu des photos. C’est une immense forteresse construite au milieu de la selve par un ancien restaurateur de Manaus chez qui avait hébergé l’équipe Cousteau du temps de l’expédition de la Calypso. Il a construit ce complexe sur les conseils de Cousteau. Ce que j’en avais lu m’avait donné envie d’y aller, mais je pensais ce rêve irréalisable tant l’endroit semblait réservé aux millionnaires et aux « grands de ce monde ». Et j’y suis ! Mais quelle désillusion ! Malgré l’arrivée spectaculaire, je déchante vite : entre club Med et camp américain du Vietnam ! Ce n’est pas du tout le dépaysement que je cherche ! À première vue, oiseaux artificiels, panthères artificielles, dauphins artificiels et sans doute hommes artificiels ! Rassurez-vous je ne suis pas encore au but de mon voyage. Je vous reparlerai de cet endroit car au retour j’aurai l’occasion de le visiter un peu plus. A l’aller, je n’ai heureusement fait qu’y passer, panique passagère !

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Peu à peu je me suis rendue compte que j’étais la seule personne à continuer le voyage vers « Terra verde » et je fais un peu figure du parent pauvre ! Qu’importe ! Mon guide arrive et m’emmène seule, sur un canot à moteur. Moi je me sens « la reine » ! On glisse à nouveau sur le rio Negro, encore plus imposant dans cette frêle embarcation. La chaleur est déjà là et sans doute un phénomène de mirage fait qu’au loin apparaissent des îles à peine posées sur l’eau, comme suspendues  dans l’air, en état de lévitation ! Perdue dans cette immensité, je savoure le moindre détail autour de moi, mon aventure a commencé ! Une heure de trajet, le bateau entre dans un igarapé, petit affluent tortueux et verdoyant. Avec mes jumelles, je scrute les rives, impatiente de découvrir quelque chose ressemblant à un hôtel. Malgré la forêt épaisse qui nous entoure, la vie humaine est partout présente : des petites maisons de cabocles (indiens métissés) groupées en petits villages ou isolées, se succèdent. Enfin, découverte ! Le moteur ralentit, c’est l’arrivée : un groupe de constructions en bois, huttes rondes, recouvertes de palmes et rangée de quelques bungalows, au milieu d’une nature animée où poser pied ! Je suis soulagée, rien à voir avec ce que j’ai vu à l’Ariau. Des concerts d’oiseaux, « bemtivi », perruches et bien d’autres m’accueillent, comme s’ils étaient dressés à cela ! Je m’aperçois vite que je suis seule dans cet hôtel. On a laissé planer le doute sur d’éventuels clients qui devraient arriver, mais je resterai toute seule pendant 48 heures et je me ferai bichonner !

Ma chambre, dans une des huttes au toit conique, montée sur pilotis, sur le bord du fleuve. Très rustique, mais essentielle ! Une vue magnifique d’un petit balcon où on s’empresse de m’installer un hamac. Me voilà les doigts de pied en éventail, récupérant de mon voyage !

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Il fait très lourd, l’orage menace mais ne se décide pas à éclater ! Tout le monde, hommes, chiens, oiseaux, mouches attendent, écrasés par cet air étouffant. Le grand calme avant la tempête, à peine une légère risée sur l’eau. Enfin l’orage tropical éclate : il est arrivé par l’ouest, on voit et on entend de loin commencer le déluge ! D’un coup l’horizon se bouche et la pluie avance sur la forêt, sur l’eau. La nuit tombe, alors qu’il est à peine trois heures. La violence se déchaîne, des tourbillons, des trombes d’eau, s’engouffrent partout, les portes et les volets claquent. Le vent arrive dans toutes les directions, soudain, on a presque froid. Puis le tonnerre claque !

Pendant au moins une heure, il est tombé des cordes. Puis, peu à peu le calme est revenu ou du moins une autre agitation s’est installée : les oiseaux d’abord ont osé affronter les quelques gouttes qui tombaient encore, ensuite les hommes se sont mis à l’ouvrage pour réparer les dégâts causés par l’orage : vider l’eau qui a envahi les habitations, écoper l’eau des barques, etc. …   Le soleil a réapparu timide et le fleuve a retrouvé ses couleurs argentées. Longtemps encore pourtant, on a entendu l’orage gronder au loin.

Au calme retrouvé, le guide m’a invitée à une promenade sur l’eau. Arrêtés au milieu du fleuve, en silence, nous attendons la visite des « bodos », énormes dauphins roses de l’Amazone et plus modestes dauphins gris ! Ils ne se font pas attendre. Je peux les admirer, les uns et les autres, de loin, un peu trop rapides pour une photo ! Ils deviennent de plus en plus hardis, passant et repassant sous la barque. On les devine tout près, tournant autour de nous, mais alors chiches de leur sortie ! On reste là un moment, à la dérive, au milieu du grand fleuve. Le ciel est encore chargé après la pluie, un énorme arc en ciel fait face au soleil couchant. Tout se reflète dans le miroir gris argenté de l’eau. Quelques timides teintes roses apparaissent. Chaque seconde le fleuve et le ciel changent de couleur. Soudain la forêt qui nous entoure s’enflamme !

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Le lendemain matin après un petit déjeuner copieux, un autre guide m’emmène dans la « mata », la forêt vierge. Les chiens nous accompagnent. Leur présence me rassure, car le guide n’arrête pas de me parler de la présence des « onças » (panthères) ! Je crois que c’est vrai même s’il exagére un peu pour me mettre dans l’ambiance ! On avance à la machette. Il a une connaissance incroyable de la végétation, des vertus médicinales de chaque plante, des cris d’oiseaux, des empreintes d’animaux, … Des grosses fourmis (appelées « les 24 heures », parce qu’elles rendent très malades pendant 24 heures, mais on en meurt pas !) construisent au-dessus de leur fourmillère, très profonde dans le sol, des centaines de cheminées d’argile, pics du Colorado en miniature ! Soudain, il me crie  « courrez vite ! ». Je n’attends pas les explications et me précipite, on a marché sur une procession de ces fourmis. J’avais  heureusement mes tennis aux pieds, du répellente sur les jambes nues. Plus de peur que de mal !

Malgré une autre végétation et des arbres plus imposants, je ne me sens pas beaucoup plus dépaysée que dans certaines forêts françaises où je vais cueillir des champignons !   C’est surtout étonnant de se trouver entouré de toutes les plantes d’appartement vendues chères en France ! Des noms et des noms d’arbres et de plantes, impossible de tout retenir : des arbres à latex à mille vertus, des lianes antimigraineuses, des feuilles qui permettent de boire en cas d’urgence, des palmiers dont le duvet gratté sur l’écorce permet de faire du feu même sous la grosse pluie, d’énormes arbres tombés mais imputrescibles et qui resteront tels quels éternellement. Une encyclopédie vivante, mon guide. Il a  appris tout cela avec les indiens. Moi je découvre parterre des cosses blanches ouvertes : ce sont des œufs éclos de crocodiles !

Au retour, les chiens traquent un capivara (gros rongeur aussi gros qu’un sanglier !) qui affolé, traverse le sentier sous notre nez.

Je suis revenue au camp, en sueur, les jambes bouffées d’insectes, malgré mon répellente, mais ravie de mon expérience !

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L’après-midi, partie de pêche au piranha ! Une risée ondule la surface de l’eau sur laquelle glisse la barque. Quelle volupté ! Puis soudain, une large surface un peu retirée, lisse, une vraie mer d’huile. Juste quelques ondes provoquées par moment par les ébats d’un « bodo ». Moteur arrêté, on installe les appâts : restes de poulet du déjeuner ! On jette les lignes. Je comprends alors le plaisir de la pêche, qui réside plus dans l’attente, en silence, en communion avec une nature belle et sauvage. Il faut être calme et patient ! On reste ainsi des heures à attendre que le poisson morde à l’hameçon. Le guide, plus habitué, attrape un petit piranha, je suis déçue, il n’est pas plus impressionnant qu’une daurade. Ce n’est pas un piranha rouge ! Tout de même quand on lui met une feuille dans la gueule, il ne met pas de temps à la cisailler ! il vaut mieux ne pas y mettre le doigt. Ma patience finira aussi pas être récompensée, je prendrai l’unique poisson de ma courte vie de pêcheur. Ce n’est pas un piranha, mais un matrixâ, sorte de chinchard que j’aurai ce soir dans mon assiette pour un repas que j’ai bien gagné !

A la nuit tombée, on m’appelle pour un « focagem » (chasse au projecteur) de jacaré (crocodile). En proue, le guide balaye les alentours d’un gros projecteur pendant que la barque file dans la nuit. C’est le patron qui tient la barre. Moi assise au milieu ! Tout cela rien que pour moi ! Soudain, des yeux rouges, une tête au ras de l’eau, paralysée par la lumière, tandis que, le bateau s’approche. Elle est grosse la bête et elle parviendra à s’esquiver quand le guide essayera de la saisir. On repart, on scrute tous les alentours, sans succès. Finalement, en s’enfonçant dans les herbes de la rive, le guide saisira un bébé jacaré de moins de 20 centimètres et insistera pour que je le touche avant de le relâcher. Ce n’est pas la gloire, mais on ne sera pas revenu pas bredouille !

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Je vous raconte là les moments animés de mon séjour. Les deux soirées ont été longues. J’ai regretté d’être toute seule. Le soir, le groupe électrogène donnait une lumière à peine assez forte pour lire et il n’y avait comme autre distraction que de chercher le sommeil ! Même ma petite radio avait du mal à me distraire, on captait mal et peu de choses. En plus pendant la nuit et malgré le répellente, des vermines indéfinissables ont su me dévorer de partout ! Il n’y a pourtant pas de moustiques sur les bords du rio Negro, dit-on ! C’était là la face sombre de l’aventure !

Le troisième jour, vers onze heures, chemin du retour en passant par des endroits encore plus sauvages et verdoyants qu’à l’aller. Sur les rives, arbres majestueux ou palmiers aux apparences frêles, dominent de 50 mètres au moins et laissent filtrer les rayons du soleil, pourtant très haut à cette heure. Sûrement que nos bâtisseurs de cathédrales ont pris leur inspiration dans cette forêt vierge où le soleil est dieu.  Puis j’ai le droit de visiter le complexe Ariau !  Une dizaine de kilomètres de passerelles, au pas de course. Ce que l’on voit de  la nature environnante est magnifique mais intouchable ! On croise autant de cases de Tarzan, qu’il n’y a d’hommes célèbres et riches à avoir fait l’honneur d’une nuit dans l’endroit ! Elles sont montées sur pilotis sur un bord de passerelle, on croirait vraiment avoir à grimper dans un arbre pour atteindre un refuge précaire, mais l’habitation que l’on devine là-haut ne doit manquer de rien de luxe occidental ! La capacité d’hébergement du complexe est d’environ 300 personnes ! En pleine jungle ! Mais une jungle aseptisée où surtout personne ne risque de poser le pied sur une fourmi ou un serpent, ni même se salir d’un peu de terre ! Tout au long du parcours, des plantes d’  « appartement » en pot, sans doute extraites de la jungle environnante, mais « traitées » ! Quelques singes s’approchent de la passerelle, rares êtres autochtones autorisés ! Le Crocodile de service, qui au dire de mon guide fait dans les quatre mètres, ne daignera pas montrer le bout de sa mâchoire à cette heure aussi chaude !

Le comble de la promenade sera la pyramide : une pyramide en plexiglas, de la taille des petites pyramides du Louvre, totalement recouverte de feuillage de plastique (sic).  Une porte dérobée vous permet d’entrer dans le saint des saints, après vous être déchaussés. Une fraîcheur vous saisit, l’air conditionné donne à fond ! Tout autour, coussins et petits tapis individuels vous invitent à vous allonger pour un recueillement indiscutable ! Une musique douce, avec lointains cris d’animaux et chants d’oiseaux (non autochtones !) style « Natures et Découvertes » ! Allongée là le temps que mon guide a jugé nécessaire, j’ai loisir de découvrir des petites statuettes de plâtre disposées tout autour, représentant anges et archanges d’un autre temps et surtout d’un autre endroit, illustrant chacun de nobles principes moraux ! Tout sent la secte, j’ai pensé à Moon ou à la scientologie. Il existe là une énigme qui mérite enquête !

Je ne veux pas vous laisser sur cette impression négative. Il m’était utile de voir cet endroit pour ensuite l’éviter. Cela ne m’a permit que de mieux apprécier l’endroit humble et naturel où j’ai été si bien reçue. Le recueillement lors de la pêche au piranha m’a été beaucoup plus sacré et sincère que celui de la pyramide !

Le retour sur Manaus a été presque morne après tout cela. Je me sentais revenir à la civilisation. Tout est relatif, car pour qui vient d’Europe et même de Belém, Manaus apparaît au centre des mystères de la jungle. Je suis rentrée en pensant que je n’en avais touché qu’une infime parcelle, édulcorée pour le touriste que j’étais ! Plus on s’enfonce vers l’Ouest et plus on souhaite un jour pouvoir aller encore plus loin !

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