Altamira le 10 janvier 2001

Bonjour à tous

 

Le retour est proche et ce sera sans doute la dernière chronique que je vous enverrai cette année d'Amazonie. La dernière expédition n'a pas été des moindres. Hier matin, de bonne heure, nous avons pris un " combi ", le fidèle et increvable combi de Volkswagen, qui est ici le plus courant moyen de transport en commun sur la transamazonienne. D'après ce que j'ai vu, c'est aussi le plus sûr sur cette longue bande rouge que l'on ose qualifier de route. Direction Medicilandia, coin perdu où se trouve tout justificatif de la présence de Dominique au Brésil ! C'est là qu'est la première maison familiale du coin et c'est surtout là que vit le président de l'association des maisons familiales du Pará. Dominique va donc y traiter des affaires et je vais rendre une visite de courtoisie. Je peux vous assurer que l'expérience du voyage en combi sur la transamazonienne est quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer si vous ne l'avez pas faite et de préférence en saison des pluies !... Il avait bien plu la veille et la nuit avant notre départ. Le combi se lance à toute vitesse sur cette ligne rouge, on ne sait pas trop ce qu'il va faire, ni où il va passer. Il vaut même mieux fermer les yeux, c'est moins impressionnant. Encore plus perturbant que les pires manèges de montagnes russes et autres horribles frayeurs qu'on a voulu vous faire connaître dans votre enfance. La pseudo route a pourtant largeur d'une " quatre voies ", mais ce n'est qu'une construction très primaire de projet de route, juste un trait tiré au milieu de la forêt, qui coupe le paysage en deux et sur lequel la nature, très rapidement, semble avoir repris tous ses droits. Il parait que pendant deux ou trois ans après sa construction, la route est restée à peu près praticable, et depuis, faute d'entretien chaque saison de pluie la détruit de plus en plus. Sur cette largeur de quatre voies, seule une trace limitée d'ornières et zigzaguant, permet le passage. Un peu l'impression d'être sur une piste noire de ski, très pentue, sur laquelle il faut absolument descendre et surtout ne pas se casser la figure, en prenant des marques déjà faites par des champions passés avant vous ! ... Avec ça, ballotté sans arrêt, vos vertèbres se tassent, aucune posture de yoga ne pourrait vous aider ! ... Huit passagers impassibles dans ce combi, partant très dignes traiter leurs affaires à Medicilandia, comme vous, vous partez chaque matin vers votre travail. La route est relativement sèche au cours des premiers kilomètres, mais ça ne fait qu'empirer. Au bout d'un moment, on ne sait plus si on c'est de la route ou du fleuve. On fait une halte à mi-chemin, à Novo Brasil (sic !) pour se reposer un peu des vibrations négatives et on repart de plus belle, plein de courage pour affronter les derniers zigzags (encore 50 km). C'est là que l'on tire son chapeau au combi ! Quand le passage est difficile, on entend le moteur rugir, les roues arrières, motrices, tourner dans le vide, le combi patine, avance en crabe, fume, on se dit que jamais il ne passera, il passe toujours ! Il faut parfois descendre de voiture et pousser, comme au temps des diligences. Les chauffeurs sont incroyables, un peu kamikazes quand même (cela se révélera surtout au retour qui a été plus périlleux !). Et autour de tout cela, le paysage est magnifique, bien sûr un peu dénaturé : sur les bords, la végétation a pris la couleur de la route

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Pourtant la forêt dense est vite à portée d'oeil : des palmiers, des bananiers, des fougères arborescentes, puis des châtaigniers du Pará dépassent de leur hauteur tous leurs voisins !... Enfin, après un peu plus de deux heures de voyage, on arrive à Medicilandia, ville un peu minable, tout droit sortie d'un film de far west. On se sent vraiment débarqué sur une autre planète. Une pluie tropicale se met soudain à déferler. Tout est vite inondé. Ça doit pourtant faire partie des choses courantes ici, mais rien ne semble prévu, aussitôt des rigoles se dessinent partout et l'eau atteint tous les seuils de maison. Toute la vie s'arrête, les gens s'abritent ici ou là et on a l'impression que si ça durait un déluge, ils resteraient ainsi, statufiés. Nous attendons le président, Darcirio, que l'on a vu s'arrêter en voiture tout à côté de l'endroit qui nous sert d'abri. Il n'apparaîtra pas avant la fin de la pluie qui dure une bonne demi-heure ! On reprend la route pour faire encore 11 km interminables sur une route devenue complètement fleuve ! Darcirio se révèle aussi un champion du Gymkhana. Juste avant d'arriver à destination, une grande montée toute glissante. Le moteur peine, la voiture gagne centimètre par centimètre et patine à qui mieux mieux, puis refuse définitivement d'avancer. Tous deux, encore impeccables, tels que partis ce matin, nous sortons pour pousser la voiture. Dominique en sandales, dérape sans arrêt et s'affale dans la boue plusieurs fois. Les bains de boues se font payer chers dans certains endroits. Ici ils sont gratuits. Moi, plus prévoyantes, j'ai mis ce matin mes chaussures de rando, je tiens donc mieux et aide un peu le chauffeur. Ce faisant, je reçois tous les jets de boue projetés par les roues. Enfin la voiture prend de la distance et nous allons pouvoir remonter. Je vous laisse imaginer l'état de nos vêtements !... Nous voilà dans l'exploitation de Darcirio. Rosa sa femme, deux de ses trois filles, Magda et Maristella. C'est très simple, mais très chaleureux. Une maison de bois, montée sur pilotis, très fonctionnelle, au milieu de la jungle.

     

   

 

Une énorme culture de cacao est la production principale. Les poules font le nettoyage au pied de chaque arbre. Ici aucun produit chimique, tout est naturel et recyclé. De nombreux arbres, de nombreux fruits, autant de noms que je ne pourrai jamais retenir : si, la Jaca ou Jackfruit, énorme fruit à allure de hérisson et qui tombe de l'arbre en explosant, quand il est mûr. La pulpe qui entoure les nombreux noyaux que l'on découvrent à l'intérieur, a un peu le goût de banane. La pluie donne un léger répit pour visiter la propriété, puis pour aller à pied (car la voiture ne passe plus sur la route), jusqu'à la maison familiale récemment construite. Accueil très chaleureux par tous. Moi je suis MORTE ! Pendant que Dominique traite ses affaires, je demande un coin pour me reposer. J'ai dormi, tellement fatiguée que je m'entendais ronfler et que ça me gênait !...Quand je me réveille, de nouveau le barouf de la pluie ! J'attends une bonne demi-heure, espérant que la pluie cesse. En vain. Je vois les élèves, malgré la pluie, continuer tout dégoulinants à jouer au volley. Le déluge est là et il faut que je fasse quelque chose, je finis par m'engouffrer sous la pluie pour au moins, aller retrouver les autres et ne pas supporter toute seule cette épreuve ! La pluie a duré, duré. On a fini par rentrer à pied et sous la pluie (un peu moins forte) vers la maison. Il est absolument hors de question de rentrer à Altamira le jour même. Telle était notre première intention. Plus rien ne peut avancer sur la route, même pas les combis ! Nous avons donc eu le droit à une soirée chaleureuse et familiale qui s'est terminée autour de cartons de photos. On en oubliait tout l'environnement, tout semblait absolument normal, comme si on avait été à " Loperhet ", sauf que l'on parlait portugais et pas breton ! ... On s'est couché mort de fatigue. La pluie avait cessé, demain serait un autre jour. J'ai assez mal dormi, réveillée par une pluie de nouveau battante et sans fin. Je commence à m'angoisser, me rappelant la pluie interminable de Macondo dans " Cent ans de solitude " (une fois de plus) où j'ai tout à fait l'impression d'être. Je me fais un scenario dans la tête : trois jours après on est encore là, laissant partir notre avion, pire on passe même là les cent ans de déluge ! Au matin, la pluie a enfin cessé et le ciel est moins menaçant. On prend cependant le temps d'un bon petit déjeuner aux milles confitures de Rosa, pour avoir l'impression de laisser la route sécher ! On part sur les coups de 8h. La voiture doit démarrer sans passager pour monter la première côte et c'est reparti ! Pas un seul véhicule sur la route glissante. Seules quelques motos semblent circuler plus aisément De nombreuses personnes sur le bord de la route font signe et attendent un hypothétique moyen de transport pour pouvoir rejoindre leur lieu de travail. Nous avons déjà fait le plein. Les onze kilomètres jusqu'au combi sont épiques et périlleux, mais enfin on y arrive. Un combi en partance, plus grand cette fois, 12 passagers à bord, un chauffeur vraiment fou, qui doit combattre l'angoisse du voyage à faire en racontant n'importe quoi et en faisant le fanfaron. On part enfin. Tout le monde semble résigné. On espère juste arriver à destination avant la tombée de la nuit ! De nombreux camions en travers de la route, des ornières encore plus profondes que la veille et qu'il vaut mieux essayer d'éviter. Plusieurs fois on doit descendre de voiture et on croit bien y rester, mais chaque fois il y a un " jeito " (miracle brésilien). Brasil Novo n'arrive jamais. Enfin on y passe et halte pour reprendre son souffle. La route semble ensuite un jeu d'enfant (on s'habitue à tout) et en ayant mis à peine plus de trois heures, nous arrivons enfin, mais complètement cassés, à Altamira. Il y a longtemps que je n'ai pas ressenti une telle fatigue, sans doute semblable à celle ressentie après un marathon (hein Erwan ? ...). Voilà, je vais commencer mes valises, prise entre des sentiments mitigés, un regret de quitter Altamira et sans doute surtout Dominique, mais aussi une impression qu'il est impossible d'y vivre. Une chose pourtant certaine, je n'ai aucune envie de reprendre ni ma routine, ni mon travail ! Nous partons vendredi pour Belém, d'ou samedi matin nous pensons aller passer un dernier week-end à l'île de Marajó, pour fermer la boucle.

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